Extraits du livre « Les notaires sous l’Occupation (1940-1945): Acteurs de la spoliation des juifs », de Vincent Le Coq et Anne-Sophie Poiroux.
Un temps de lecture nécessaire pour comprendre le contexte historique de cette « prise de pouvoir » des notaires sur les autres professionnels du droit




Extrait du livre
L’organisation du notariat par Vichy
Au moment de l’entrée en guerre, l’encadrement institutionnel de la profession résultait des dispositions combinées de la loi du 25 ventôse an XI et de celle du 25 janvier 1934.S’agissant de l’organisation interne de la profession, maîtres Collet et Oudard exposent qu’« en l’an 1940, la presque totalité des Compagnies des Notaires existant en France est groupée pour la défense de leurs intérêts corporatifs en une Union dite “Association Nationale des Notaires de France (ANNF)”. Seules n’en font pas partie quelques Compagnies qui ont voulu conserver leur indépendance [… ;] la Compagnie des Notaires de Paris et du Département de la Seine est la plus importante d’entre elles ».
Cette présentation appelle quelques précisions complémentaires. L’ANNF a tenté de faire prévaloir ses vues à peine la défaite consommée. Étrange défaite ou divine surprise ?
D’emblée, cette fraction du notariat français a tranché. Maître Fontaine, notaire, à Dormans, président par intérim de la Fédération des notaires ruraux, expose la politique menée par l’ANNF, visant à assurer son emprise sur l’ensemble de la profession notariale.
En 1939, les Notaires français étaient regroupés en deux associations professionnelles :
- L’ASSOCIATION NATIONALE DES NOTAIRES DE FRANCE, à laquelle jadis la plupart des notaires étaient affiliés, mais qui, parce qu’elle avait manqué à sa mission, voyait son effectif fondre chaque année, à mesure que la situation du notariat devenait plus difficile.
- LA FÉDÉRATION DES NOTAIRES RURAUX, créée par Me Ouzilleau, Notaire à Bazoches-lesGallerandes, dont l’effectif, au contraire, augmentait rapidement et qui groupait déjà à cette époque plus de la moitié des notaires français.
Dès la déclaration de guerre, la Fédération des notaires ruraux avait volontairement suspendu son activité, estimant que des tâches plus urgentes incombaient au Gouvernement, que celle de réformer le notariat.L’Association Nationale n’a pas eu les mêmes scrupules et, profitant des circonstances troubles, de la prise de pouvoir d’un gouvernement qui avait rompu avec toutes les traditions républicaines, de la présence d’un Ministre qui ignorait tout de la question notariale, obtenait du gouvernement Pétain, les lois du 16 juin 1941 sur la réorganisation du notariat.
Cette version est confirmée par l’ensemble des documents que nous avons pu consulter. Dès le 18 août 1940, l’ANNF adresse au garde des Sceaux, Raphaël Alibert, une lettre sur un ton très « Révolution nationale » pour lui donner « l’assurance que le notariat [veut] sortir plus vivant et plus fort de l’épreuve que traverse la France, et qu’il [est] tout enti[er] derrière vous, Monsieur le Garde des Sceaux, pour travailler au redressement moral, économique et financier du pays ».
En novembre 1940, maître Favier, notaire à Gardanne, président de l’Association notariale d’Aix-en-Provence, exprime ses regrets à « Monsieur le Maréchal de France ».
Aucun [des] organismes [notariaux] (Chambre de discipline – Associations Notariales – Comité de Cour d’appel), n’ont été consultés sur ce projet. On l’entoure même d’un certain mystère ? […] Je redoute que cette réorganisation ne consolide et ne consacre la prépondérance constante des notaires du Nord de la France, et de la région Parisienne, car il faut constater que nos Présidents ont toujours été des notaires de l’une ou l’autre de ces régions. […] Les notaires de campagne, que j’ai eu l’occasion de consulter à ce sujet, unanimement, ne comprennent pas que notre Association Nationale ait envisagé la réorganisation de notre profession, sans consulter nos organismes actuels, nos représentants régionaux, et en poursuivre, avec une telle hâte, l’exécution320.
La cogestion de la conception du texte et de sa mise en œuvre
La version officielle, qui a perduré jusqu’à nos jours, est exposée par maîtres Collet et Oudard :
« Parmi le programme du Gouvernement de Vichy, figurait une réforme des grandes corporations judiciaires, ou autres, destinée à donner à chacune le même ou à peu près le même statut organique et une identique autorité. »
La réforme du statut des notaires fut réalisée par la loi du 16 juin 1941. Il n’est pas sans intérêt, pour mesurer le degré d’intrication du notariat et du régime de Vichy, de rappeler que ce texte répondait à une attente de la compagnie parisienne de la profession. « Le notariat ressentait depuis plusieurs décennies la nécessité de disposer d’une structure nationale, au-delà même des chambres, pour représenter la profession. »
Au demeurant, la note de la direction civile du 24 avril 1941 expose que le projet s’est étroitement inspiré des suggestions des notaires. La composition du Conseil, ses attributions sont celles qui étaient prévues dans le projet établi par l’ANNF et la chambre des notaires de Paris. Les auteurs du guide de recherches des archives notariales croient devoir préciser que « c’est le 16 juin 1941 que fut votée [sic] une loi sur l’organisation de la profession de notaire ». Cette présentation d’une loi qui aurait été adoptée dans des conditions normales omet cette circonstance que les textes de loi n’étaient précisément pas « votés » en raison de la suspension du Parlement, mais adoptés par le gouvernement de Vichy, dans des conditions identiques à celles d’un acte réglementaire.
La note de la direction civile du 24 avril 1941 expose les deux idées forces qui doivent inspirer la réforme de la profession : « Suppression des groupements officieux, qui ne représentent que leurs adhérents et sont trop souvent en conflit ; Établissement d’une organisation intérieure hiérarchisée, dont l’autorité accrue s’étend à tous les notaires sans exception. »
Aux termes de la « loi » nouvelle toutes les chambres existant dans les diverses circonscriptions judiciaires étaient remplacées dans chaque département par une chambre unique, chargée d’y maintenir la discipline de la profession. Étaient également institués des conseils régionaux – un par cour d’appel – représentant les notaires de son ressort.
Était enfin créé le Conseil supérieur du notariat (CSN) représentant l’ensemble des notaires de France. Comme le précise le président de la Fédération des notaires ruraux de France, « l’article 7 de la loi du 16 juin 1941, instituant un conseil supérieur du notariat, interdi[t] aux notaires de se grouper en associations professionnelles; cet article réclamé par l’Association Nationale [ANNF] n’avait d’autre but et d’autre effet que de supprimer la Fédération des Notaires ruraux ».
Un document, non daté, à double en-tête de l’ANNF et de la chambre des notaires de Paris et du département de la Seine, relatif au « projet d’organisation corporative du notariat », exprime une certaine impatience. Une lettre de Joseph Barthélemy, garde des Sceaux, au vice-président du Conseil d’État, datée du 16 mai 1942, confirme l’insistance de l’ANNF à voir le statut entrer rapidement en vigueur:
L’Association Nationale des Notaires de France (ANNF) m’a signalé, à plusieurs reprises, l’intérêt que présenterait pour le Notariat la mise en application du nouveau statut […]. Bien qu’il ait été primitivement envisagé de ne prendre le décret prévu à l’article 12 de la loi du 16 Juin 1941 qu’à la date de cessation des hostilités, il ne me paraît plus possible de retarder davantage la mise en application de cette loi jusqu’à une date que rien ne permet de déterminer. J’estime donc qu’il y a lieu de faire droit à la demande de l’Association Nationale des Notaires de France330.
Armand Camboulives, directeur de la direction civile, devait écrire à maître Thiron, président de l’ANNF, pour confirmer, sinon la subordination de la volonté de l’État français aux desiderata de cette association, à tout le moins une identité de vues. Ainsi que le dénonce le président de la Fédération des notaires ruraux de France, « les Conseils supérieurs et régionaux, de même que les Chambres des notaires [aujourd’hui chambres départementales], nommées directement par le gouvernement, étaient composés uniquement des notaires issus de l’ANNF et de stricte obédience vichyssoise ».
La réalité de cette assertion est confirmée par la lettre qu’adresse Armand Camboulives à maître Thiron. C’est l’ANNF qui propose la nomination de maître Montazeaud, notaire à Saint-Chartier, comme représentant des prisonniers de guerre au sein de la chambre départementale. Tout au long de l’Occupation, ce sont pour l’essentiel les candidats proposés par l’ANNF qui peuplent les chambres de discipline (aujourd’hui chambres régionales et départementales) puis, à partir de la mise en œuvre de la réforme de la loi du 16 juin 1941, les chambres départementales. Le procureur général près la cour d’appel de Riom peut rassurer le garde des Sceaux : « Aucun notaire n’est juif. Tous ces notaires observent une attitude politique correcte et ne manifestent aucune hostilité à l’égard du Gouvernement ».
À la suite de la crise [sic] consécutive à la libération de Paris, une ordonnance du Gouvernement provisoire de la République Française, en date du 2 novembre 1945, a annulé la loi du 16 juin 1941… Mais non sans valider la réforme qui en découlait.
Conclusions partielles
De ce contexte historique en découle une première conclusion: alors que le gouvernement de Vichy envisageait une réforme des grandes corporations judiciaires qui aurait pu accorder d’autres prérogatives à d’autres professionnels du droit, le notariat a bien saisi cette opportunité de faire un « coup d’état » interne entre 2 syndicats bien distincts afin de s’imposer auprès du gouvernement pétainiste puis, par la suite, auprès du gouvernement provisoire du Général de Gaulle dans un contexte d’après-guerre.
À AUCUN MOMENT, les français, souverains, ne se sont exprimés par le biais du parlement sur cette volonté d’accorder autant de pouvoir à une profession.
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